Un second tour pour l Europe

Discours de Frans Timmermans, ministre néerlandais des Affaires européennes, jeudi 26 avril

Un second tour pour l’Europe
IEP, Paris

Qui sommes-nous ?

Il y a deux mois, le congrès des travaillistes néerlandais devait prendre une décision sur la participation au gouvernement. Les ministres pressentis ont alors été sondés à tour de rôle sur leurs intentions. Je passais juste après mon collègue d’origine marocaine, Ahmed Aboutaleb. Il a mon âge et vit aux Pays-Bas depuis trente ans déjà. Comme bien souvent, il a été cette fois encore interrog é sur ses origines et son intégration réussie dans son pays d’adoption. Il a ré pondu avec aisance et humour. Puis ce fut mon tour. Pour moi, aucune question sur l’intégration, alors que j’ai vécu moins de trente ans aux Pays-Bas et que, si cela n’avait tenu qu’à madame Verdonk, l’ancienne ministre de l’intégration, j’aurais même dû passer un examen civique. Lorsque j’ai insisté pour être interrogé sur mon intégration, la confusion s’est emparée des membres de mon parti – ce qui prouve, une fois de plus, que la gauche aussi est perméable aux notions implicites de « nous » et « eux ».

Qui sommes-nous ? Cette question brûle aujourd’hui toutes les lèvres. Pas seulement aux Pays-Bas, mais en France et ailleurs en Europe. On ne cesse de souligner l’importance de l’identité nationale. Elle joue même un rôle majeur dans la campagne présidentielle, ici, où l’on cherche à s’attirer les faveurs des électeurs avec un ministère de l’identité nationale ou une déclaration d’ amour pour les couleurs nationales.

Je n’ai rien contre l’amour de la patrie, au contraire. Celui qui, comme moi, a vécu longtemps à l’étranger chérit encore plus intimement sa patrie que celui qui ne l’a jamais quittée. Mais il y a un problème, à mon avis, lorsque l’on ré clame à cor et à cri le patriotisme, comme une sorte d’examen de loyauté – pas pour tout le monde, mais surtout pour les musulmans. Si vous vous appelez Mohammed en Hollande, on vous appelle ‘allochtoon’ ce qui veut dire implicitement ‘étranger’, même si vous et même votre père êtes nés à Amsterdam. « Êtes-vous de vrais Hollandais ou faites-vous seulement comme si ? », tel est le sous-entendu. Bien sûr, cela n’autorise pas pour autant Mohammed à me traiter de « pourri de Hollandais », même avec un authentique accent d’Amsterdam – ça m ’est arrivé et, des années après, ça me met encore en colère. Mais celui qui se sent menacé dans son identité attaquera l’autre sur ce qu’il est, pas sur ce qu ’il fait. Cela sème inutilement la discorde ; et cela crée l’illusion qu’il vaut mieux avoir une seule identité, alors que chacun de nous en a plusieures. Deux passeports ne font pas de vous un demi-Hollandais !

La préoccupation de l’identité n’est pas une conséquence directe de l’ immigration. C’est un phénomène beaucoup plus large. Je me suis entretenu aujourd’hui avec l’historien et académicien Pierre Nora à propos de ce qu’il qualifie de crise de l’identité nationale en France. Parmi les facteurs, il invoque la perte de puissance consécutive à la décolonisation, l’altération des paramètres traditionnels de la souveraineté et, parallèlement, l’insertion de la France dans un espace européen. Bien entendu, l’immigration influe sur ces changements, mais ce n’est pas un facteur spécifique.

L’Union européenne et l’État-nation

Un deuxième malentendu consiste à prétendre que la loyauté à la patrie devrait par définition être sacrifiée sur l’autel de l’intégration européenne. Pierre Nora le suggère lui-même en désignant la paix comme étant « peut-être le principal facteur de cette crise » de l’identité nationale. Cette paix que nous devons en partie à la construction de l’Europe. L’Union européenne est-elle alors l’ennemie de l’État-nation ? L’identité nationale doit-elle céder la place à une identité européenne ?

Lors de sa célèbre conférence intitulée « Qu’est-ce qu’une nation ? », Ernest Renan déclara qu’une nation n’est fondée ni sur une langue ni sur une race, mais sur son histoire et sa volonté d’être une nation. L’État-nation n’est pas un ph énomène naturel, mais une création de l’homme. « Avoir fait de grandes choses ensemble, vouloir en faire encore, voilà les conditions essentielles pour être un peuple », selon Renan. À son époque, et durant soixante-quinze ans encore, cela s’est résumé à une course opposant les pays européens dans la conquête coloniale. Et régulièrement, les hauts faits consistaient à se faire embrocher fort de ses convictions sur les baïonnettes allemandes. A son corps défendant, Renan est le parrain de Ferdinand Bardamu, l’antihéros célinien.

Avec l’érosion du soutien populaire à l’Europe, même les politiques convaincus de la valeur ajoutée durable de l’intégration européenne ont été gagnés par le doute envers ce projet à peine controversé cinquante ans durant et détenteur d’une légitimité quasi naturelle – d’abord parce qu’il avait mis fin aux querelles franco-allemandes, ensuite surtout parce qu’il avait su faire front aux menaces économiques venues principalement de l’extérieur. « L’Europe unie » ou « l’Europe puissance » sont autant de tentatives renaniennes de gagner les Européens à « la volonté de faire de grandes choses ensemble ». Implicitement et fortuitement, le traité constitutionnel en est aussi le ré sultat, avec l’emploi du terme « constitution » et la volonté de codifier un hymne et un drapeau qui étaient, jusque là, les signes distinctifs de l’Europe. On voulait désormais leur donner artificiellement la charge symbolique d’ attributs régaliens.

L’Europe n’est pas un État. Vouloir en faire un État-nation est une erreur conceptuelle qui fait le jeu du nationalisme renaissant. C’est suggérer que l’ Europe doit conquérir sa légitimité aux dépens des États membres, alors qu’elle ne peut réussir que si elle contribue à renforcer la légitimité de l’É tat-nation. Et c’est grâce à l’Europe que les États pourront regagner leur lé gitimité entamée.

Incertitude

Quelle est l’ampleur du doute chez les Français et les Néerlandais ? Est-il nourri par la crainte que nos enfants s’en sortent moins bien que nous ? Est-ce la peur de se retrouver dans le camp des perdants ? Ou est-ce encore plus profond ? Est-ce la peur de perdre son identité, culminant dans la vision apocalyptique d’un Houellebecq, dont les personnages deviennent égoïstes au point de perdre toute humanité ? Selon moi, nos intellectuels ne s’intéressent pas assez à ces questions qui réclament pourtant une réponse.

Pendant ce temps, nous recherchons assidûment les vecteurs de notre identité . En 2006, les Pays-Bas ont célébré en grande pompe l’année Rembrandt, et cette année, ils commémorent l’amiral De Ruyter, leur héros marin. Si c’est la part d ’ombre de notre passé colonial qui a retenu notre attention depuis les années soixante-dix, nous semblons aujourd’hui moins préoccupés des horreurs de l’ esclavage que de la grandeur de la Compagnie des Indes. Nous avons même codifié le bagage historique que tout Néerlandais doit posséder. Bizarrement, ce canon destiné à développer la conscience historique des Néerlandais fait peu cas de l ’au-delà de nos frontières, alors que c’est le théâtre d’une grande partie de notre histoire. Bref, ce n’est pas la quête d’une réalité historique, mais celle d’une mémoire partagée pour fonder une identité commune.

La mémoire collective est presque littéralement délimitée par les frontières territoriales. De même, c’est uniquement à l’intérieur de ces frontières que sont envisagés des acquis comme la sécurité sociale. Car ce qui vient de l’exté rieur constitue une menace potentielle, que ce soit les nouveaux États membres de l’Est, avec leurs cohortes de plombiers, cet euro qui a fait monter les prix ou ce traité qui a la prétention d’être une constitution. Ce sont autant d’ incitations à la résistance. Ainsi, tel l’apprenti sorcier, l’Europe inspire les frontières psychologiques qu’elle visait à effacer.

Pourquoi le « non » néerlandais ?

Les Français et les Néerlandais sont en pleine phase de ce que les Amé ricains appellent le « soul searching », ce qui s’accorde très mal avec l’ accueil empressé d’un projet entouré d’autant d’imprécisions que la constitution européenne. C’est certainement un point commun entre le « non » et le « nee ». Mais il y a aussi des différences.

L’économie néerlandaise est traditionnellement ouverte sur l’extérieur. Comme Fernand Braudel l’a exposé en détail, l’action politique est depuis la naissance de notre nation au service de la prospérité économique et sociale. C’est ce qui, à ses yeux, a opposé durant des siècles la France et les Pays-Bas, puisque la première a, dès le dix-septième siècle, subordonné l’économie à la raison d’É tat sous toutes ses formes.

Si Braudel était encore des nôtres, il conclurait peut-être que l’europé anisation et la mondialisation ont beaucoup modifié cette situation, et ce dans nos deux pays, aujourd’hui en proie au doute quasi existentiel. Pour beaucoup de Néerlandais, l’Europe incarne la mutation profonde et irréversible du monde. Ils considèrent comme une menace l’élargissement et l’influence croissante de l’ Union européenne. Ils se demandent si la Hollande pourra encore rester elle-mê me. Le nationalisme affiché est certes un fait rare dans notre pays – et à l’é tranger nous savons exploiter le don du caméléon si propre au marchand –, nous nous montrons néanmoins très attachés au mode de vie hollandais. Durant la campagne pour le référendum, l’Europe a été perçue comme une menace pour nos acquis tels que nos politiques en matière d’avortement, d’euthanasie et de drogue. On a vu derrière chaque article du traité constitutionnel une tentative masquée d’effacer les Pays-Bas.

Jusque dans les années soixante du siècle dernier, la société néerlandaise é tait divisée en « piliers », chacun d’entre eux possédant son profil idé ologique propre. La vie quotidienne se déroulait à l’intérieur de ces piliers. Les protestants, les catholiques, les libéraux et les socialistes avaient leurs propres écoles, leurs journaux, leurs chaînes de radio et de télévision, leurs syndicats, leurs partis politiques et associations de loisirs. La loyauté se concevait généralement par rapport au propre pilier. Les autres, on ne les connaissait pas, mais on apprenait à s’en méfier et à les éviter. Je n’ oublierai jamais le regard grave de ma grand-mère désignant un groupe d’enfants qui jouaient près de chez elle : « Ce sont des protestants », dit-elle. J’avais sept ou huit ans, je n’avais encore jamais vu de protestant, mais je m’étonnais qu’ils puissent nous ressembler.

La conciliation ne s’est opérée qu’au sommet des piliers. Les leaders ont ensuite donné leurs instructions et le reste a emboîté le pas. Avec les piliers, ce sont aussi les méthodes de conciliation traditionnelles qui ont disparu de la société néerlandaise, sans être totalement remplacées. Cela explique en partie l’agitation qui secoue la vie politique néerlandaise depuis quelques années. Pim Fortuyn parlait à juste titre d’une société orpheline.

Le spectre d’un super-État européen a amplifié le doute et le malaise et incité beaucoup de Néerlandais à rejeter la constitution. Les dispositions du texte ne revêtaient qu’une importance secondaire. Ce qui dominait, c’était la crainte de ne plus pouvoir être nous-mêmes, la peur de voir la Hollande rayée de la carte. Une affiche des partisans du « non » illustrait ce sentiment : elle montrait une carte de l’Europe où les États membres apparaissaient dans des couleurs vives ; seul un pays manquait : les Pays-Bas. Il avait disparu dans la mer du Nord.

Pourquoi le « non » français ?

La France n’a jamais connu un cloisonnement social comparable à celui des Pays-Bas. En France, tout gravite autour de la relation entre la République et ses citoyens. Cette relation a deux dimensions : l’une individuelle, l’autre sociale. L’État veille sur les libertés individuelles et sur la cohésion sociale. C’est pour cette raison que l’État tient automatiquement un rôle central dans la vie des gens. Selon Charles Renouvier, la République fonctionne le mieux lorsqu’elle parvient à passer de l’individu au collectif sans effacer l’individu. Autrement dit : si elle laisse le champ libre à chaque Français tout en veillant au maintien de la solidarité.

Pour revenir à Braudel : l’action de la République est au service de ce dessein, et l’économie n’est rien de plus qu’un instrument. Aux Pays-Bas, on invoque la conformité aux lois économiques pour indiquer que le politique n’est pas autorisé à agir. En France, ce sont les règles politiques qui régissent ce qui doit être fait, même si l’économie s’y oppose.

La mondialisation limite l’influence de l’État. La transformation de l’é conomie française durant les quinze dernières années en est la preuve tangible. Mais, dans le même temps, la tradition républicaine n’a pas pris une ride. Les politiques français de tous bords croient encore que l’économie peut être adapt ée aux attentes de leurs compatriotes. Et si ça ne marche plus au niveau national, alors il faut agir à l’échelon européen.

Cela suppose toutefois que l’Union européenne développe une sorte de vocation républicaine. A cet égard, la constitution a déçu. Texte de compromis, elle rassemble les conceptions libérale et sociale. Ainsi, cette constitution n’é tait pas seulement dépourvue de la « vocation républicaine », appelée de ses vœux par notamment Laurent Fabius, elle symbolisait de surcroît l’Europe néolib érale, l’agent perfide du plombier polonais, du constructeur automobile roumain et du magnat de l’acier indien.

La où les Néerlandais craignaient une Europe envahissante, les Français la considéraient trop timide. Les deux peuples ont en tout cas vu une Europe dé faillante.

Et maintenant ?

Il est illusoire de croire que nous convaincrons les eurosceptiques avec un nouveau traité. Aussi inévitable qu’elle soit, la discussion sur les nouvelles règles de fonctionnement va réveiller le sentiment national. Il faut donc la conclure le plus vite possible. Mais appliquons pour cela une méthode éprouvée. Modifions les traités actuels là où ils sont inopérants pour l’Europe élargie et pour les nouveaux domaines d’action. Gardons-nous en revanche d’affirmer à coup d’hyperboles incongrues que nous devons entrer dans une nouvelle phase de la formation de l’État européen. Changeons ce qui doit l’être, et ne touchons pas au reste.

Il y a, en revanche, un problème plus profond qu’il faut résoudre. C’est cette impression croissante qu’ont Français et Néerlandais qu’ils ne sont plus maîtres de leur vie. Pour retrouver prise, les Néerlandais se replient derrière des frontières protectrices, tandis que les Français espèrent élargir les leurs, de sorte à maintenir les problèmes à l’extérieur. En forçant un peu le trait, on pourrait dire que les Hollandais veulent une Hollande plus hollandaise, et les Français une Europe plus française. C’est dans le télescopage de ces deux tendances que se trouve la solution pour l’Europe entière.

La nature du non néerlandais et français aide à cerner les défis que l’ Europe doit relever. La mondialisation a rapproché deux économies autrefois antagonistes. Mais ce rapprochement a été si rapide que la population a freiné des quatre fers. En dépit de sa prospérité économique, la Hollande autrefois si ouverte se montre de plus en plus introvertie. Et en France, les possibilités é conomiques restent inexploitées par crainte du changement et de la perte des droits acquis. Il faut rompre ce cercle vicieux.

Cela commence par un discours politique franc. Les Français doivent accepter que l’État n’est pas tout-puissant, tandis que les Néerlandais doivent apprendre à ne plus considérer l’économie comme un phénomène naturel, intangible. Les choix politiques ne peuvent pas inverser la mondialisation, à supposer même qu’ on le veuille. Par contre, la politique peut orienter certains processus qui font partie de la mondialisation. Il ne s’agit pas de sauver des usines structurellement non rentables ; on ne peut plus garantir la sécurité de l’ emploi comme autrefois, par contre, on peut garantir la présence d’emploi accessible à tout le monde.

Solutions

Pour aider nos concitoyens à prendre en main leur propre destinée, il faut r épondre autant aux préoccupations néerlandaises que françaises. L’une des premi ères priorités est que la classe politique nationale s’intéresse de plus près à l’Europe. Les parlements nationaux sont les mieux à même d’européaniser le dé bat national et de nationaliser le débat européen. C’est indispensable pour impliquer les citoyens dans le projet européen. Les femmes et les hommes politiques doivent aussi redoubler d’honnêteté et renoncer aux vieux réflexes d ’appropriation nationale des succès tandis que les échecs sont imputés à Bruxelles. Une telle stratégie paraît certes payante à court terme, mais, à long terme, elle contribue à l’érosion du soutien à l’Europe.

Les parlements nationaux jouent aussi un rôle important dans le nécessaire contrôle de la répartition des compétences entre les États et l’Europe. Cette r épartition mérite parfois d’être revue, notamment pour les services publics. Il n’est pas nécessaire de tout soumettre aux règles du marché intérieur. Chaque pays doit rester libre d’organiser à sa guise son système éducatif, de santé ou sa politique du logement. Ce principe doit être plus clairement affirmé. N’y voyez aucun chauvinisme ; simplement la conséquence logique du constat que l’ Europe ne se démocratise que si la démocratie s’européanise.

Tout aussi important : l’Europe doit se préoccuper des problèmes de fond. Contrairement à d’autres régions du globe, nous ne sommes pas, en Europe, livré s aux affres du marché. L’État-providence nous garantit un enseignement de qualité, un système de santé publique accessible au plus grand nombre, d’ excellents dispositifs de retraite et une couverture fiable du chômage et de l’ incapacité de travail. L’environnement et le climat sont également des priorité s.

L’Europe est un modèle de société solidaire et responsable. Cependant, nos valeurs sont soumises à une pression croissante. Une nouvelle forme de capitalisme se développe. Des fonds spéculatifs entrent dans le capital d’ entreprises respectables et exigent des mesures radicales. Licenciements, dé mantèlement ou, au contraire, politique effrénée d’acquisition, tout est bon pour permettre aux actionnaires d’engranger des profits considérables. C’est tout ce qui compte, quitte à laisser derrière l’entreprise et ses salariés les mains vides.

Cette progression d’un capitalisme prédateur oblige l’Europe à prendre position. Le repli protectionniste classique nous accorderait peut-être un court répit, mais il nuirait fortement à notre développement économique. Il est préfé rable de rechercher une approche commune et d’échanger les expériences utiles, comme cela a été envisagé récemment au sein du Conseil Ecofin.

Modèle de concertation

La réalité brutale de ce capitalisme d’actionnaires importé des États-Unis est étrangère à la tradition du vieux continent, basée sur l’harmonie et non sur le conflit. Loin d’être obsédé par les gains rapides, notre capitalisme se caractérise par la recherche d’un profit durable à moyen et long termes. Une entreprise n’est pas un distributeur de billets auquel les actionnaires peuvent se servir jusqu’à épuisement, mais une mise en commun de capital, de travail et de management. C’est en tout cas l’Europe sociale à laquelle j’aspire.
Je suis bien conscient qu’il existe des différences au sein de l’Europe. Mais, à l’échelle mondiale, nos points communs sont beaucoup plus importants que nos différences. Il suffit de vouloir s’en apercevoir.

Le rachat d’entreprises nationales n’est pas mauvais en soi. Tout dépend de l’intention de l’acquéreur. Est-il à la recherche d’une plus-value rapide ou souhaite-t-il améliorer sur le long terme les résultats de l’entreprise ? Il ne faut pas attendre de l’Union européenne qu’elle revienne sur la libéralisation. Elle doit en revanche protéger les entreprises des manœuvres inspirées u niquement par la course au profit. Là où seule la loi du plus fort compte, laissant les autres les mains vides, l’Europe doit intervenir.

Le Financial Times a récemment fait une enquête dans les cinq plus grands pays membres sur le regard porté sur l’Europe. Il apparaît que la grande majorité des personnes interrogées associent l’Europe principalement à la notion de marché libre. Cet exemple illustre le sentiment d’inquiétude largement ré pandu. Les politiques doivent entendre ce message et défendre une Europe qui non seulement favorise le fonctionnement du marché, mais s’attache aussi à prot éger les citoyens contre ses retombées négatives. L’abandon de ce rôle protecteur signifierait la faillite du système et la fin de la croissance.

Mais prétendre vouloir ériger une ligne Maginot ou une Hollandse waterlinie pour se protéger des voisins serait nier la réalité. Le pire serait de caresser une telle chimère pour conjurer l’inquiétude des citoyens – nous devrions tout de même le savoir maintenant. Les politiques doivent au contraire trouver la ressource de se libérer du carcan de leurs propres idées préconçues. Ils pourront alors s’inspirer de la diversité des modèles économiques en Europe pour élaborer une politique qui garantisse le maintien du modèle social européen.

Conclusion

Beaucoup d’Européens sont désabusés. La fin des divisions en Europe signifierait la fin de l’histoire. Celui qui croit à cette thèse s’enlisera vite dans une discussion sur l’immuabilité des « frontières de l’Europe » ou de la culture « nationale » qu’il faut préserver des influences extérieures. Mais celui qui veut voir en l’histoire un élan infini et en la culture un mouvement perpétuel, renforcé et enrichi par les contacts avec d’autres cultures, celui-l à sera réceptif aux nouveaux défis de l’Europe.

Ce qui est vrai pour la culture l’est aussi pour l’Europe économique et sociale, j’en suis convaincu. En ce domaine aussi, l’ouverture d’esprit est la clé de l’apprentissage mutuel. Pas, comme certains le souhaitent, en proclamant comme modèle idéal une année le « polder-model » et la suivante le système scandinave. Mais en reprenant certains éléments efficaces d’autres modèles é conomiques pour les intégrer à notre propre système. C’est ainsi qu’une culture reste vivante, qu’une économie retrouve du dynamisme, que l’Europe unie et multiforme reprend une bouffée d’oxygène.

Pour y parvenir, il est nécessaire que progressent de nouvelles façons de penser. Il faut mettre fin une fois pour toutes au raisonnement traditionnel selon lequel plus d’Europe signifie automatiquement moins d’État national. Ce premier pas franchi, nous ne sommes encore qu’au début d’une nouvelle ère de la coopération européenne. Car seul un projet porté par l’ensemble des Européens peut réellement porter ses fruits. Mobiliser en ce sens, telle est la mission fondamentale des femmes et hommes politiques d’Europe.