Toespraak minister Ollongren tijdens werkbezoek aan Parijs

Tijdens een eendaags bezoek aan Parijs op 4 april 2018 heeft mininister Ollongren (BZK) ook op uitnodiging een toespraak gehouden bij haar oude opleiding ENA. Alleen het gesproken woord geldt.

Discours de ministre de l’Intérieur des Pays-Bas Kajsa Ollongren à l’ENA Paris.
Seul le prononce fait foi

Mesdames et Messieurs,

J’ai eu le privilège, comme beaucoup d’entre vous, de suivre les cours de cette célèbre institution qu’est l’ENA il y a vingt ans. Je suis donc très heureuse et honorée d’être de retour à l’École nationale d’administration, que je fréquentais á Strasbourg et á Paris. À l’ENA, j’ai appris que viser l’excellence est permis, qu’il est faut être ambitieux. Nos sociétés occidentales offrent à chacun la possibilité de réaliser ses ambitions, et c’est dans cet esprit que l’ENA a été créée.

Ces dernières années nous ont toutefois montré que nos sociétés sont vulnérables. Paris, la ville lumière, a plusieurs fois été plongée dans les ténèbres des attaques terroristes. Si les attentats de 2015 n’étaient pas les premiers qu’a connus Paris, ils ont eu un impact inouï. Sur la ville, sur la France et sur toute l’Europe.

L’idée que l’ouverture rend vulnérable gagne du terrain. On ne compte plus les parutions de livres aux titres menaçants : How Democracies Die et How Democracy Ends. Dans une belle unité de ton, tous prédisent la fin du monde occidental démocratique. Ce pessimisme contraste fortement avec le sentiment qui dominait du temps de mes études à l’ENA. L’ouverture était alors considérée comme une force et les vertus de la démocratie libérale ne suscitaient guère de doutes. Les pays les plus puissants et les plus prospères étaient des sociétés démocratiques ouvertes, adeptes de l’économie de marché. Francis Fukuyama venait d’annoncer « la fin de l’histoire ».

Aujourd’hui encore, le succès et la prospérité de la France et des Pays-Bas reposent sur leur ouverture. Une ouverture qui constitue aussi le fondement du projet européen. Elle est même présente dans votre portemonnaie, sur les billets d’euros où figurent un pont, symbole de la réconciliation des cultures, et une porte, image de l’attitude ouverte des Européens, entre eux et envers le monde. L’Europe est synonyme d’ouverture des frontières intérieures, d’ouverture des marchés et d’ouverture vis-à-vis des points de vue et intérêts respectifs. Une attitude qui s’est avérée fructueuse.

Mais l’ouverture est aussi une démarche politique, au service des citoyens. Elle permet de participer au processus politique et de s’exprimer librement pour ou contre les dirigeants, sans crainte de représailles. L’ouverture et la transparence servent la vérité, sous la forme d’une presse libre et critique dont l’existence est une condition de l’ordre juridique démocratique. Autant d’acquis évidents à nos yeux, qui ne vont pourtant pas de soi dans de grandes parties du monde.

L’ouverture est aussi à la base du succès économique de l’Europe. Un marché libre offre aux individus la possibilité de concrétiser leurs talents et leurs idées sous la forme de produits et de services. Dans la période qui a suivi la Seconde Guerre mondiale, l’Occident libre a ainsi connu une augmentation sans précédent de la prospérité, alors que les économies fermées stagnaient. Avec l’enseignement, le marché ouvert est un élément clé de l’ascension sociale. Car dans ce cadre, les individus sont jugés sur leurs qualités et non sur leurs origines.

L’ouverture de nos sociétés et de nos démocraties est en grande partie liée aux penseurs français et à l’histoire française. La France, et en particulier Paris, a été au centre du mouvement des Lumières et de la diffusion des idées modernes sur l’autorité, les droits fondamentaux et l’organisation de l’État. Je pense à la séparation des pouvoirs prônée par Montesquieu et aux valeurs de la Révolution française : liberté, égalité, fraternité. C’est pourquoi je suis particulièrement heureuse de pouvoir vous parler ici même de la force de l’ouverture.

L’ouverture est un acquis, une condition de la démocratie et de la prospérité. Mais elle a aussi son revers car elle est aussi notre talon d’Achille. Nos gouvernements doivent-ils se garder de toute naïveté politique. L’ouverture ne va jamais de soi.

Les organisations terroristes profitent de l’ouverture de nos sociétés tout en essayant de la saper. Cette ville l’a appris à ses dépens. L’éventualité d’un attentat provoque un sentiment de vulnérabilité physique et nous amène à nous demander si l’ouverture ne fait pas de nous des proies trop faciles. Les terroristes semblent circuler librement entre les pays européens tandis que les extrémistes diffusent sans problème leur idéologie grâce aux moyens de communication modernes. Rien d’étonnant donc à ce que certains prônent la fermeture et le renforcement du contrôle.

Mais les terroristes ne sont pas les seuls à abuser des possibilités offertes par la société de l’information: des acteurs étatiques le font aussi. Ils tentent d’influencer l’opinion publique en diffusant de fausses informations. Les nouvelles technologies leur facilitent la tâche: le partage d’informations erronées ou trompeuses peut se faire de façon anonyme, rapide et peu coûteuse. Cette emprise sournoise peut ébranler la confiance de la population dans les institutions publiques et, ce faisant, miner l’ordre juridique démocratique.

L’ouverture des économies occidentales et leur libre marché sont également mis à rude épreuve. Les nouvelles technologies ne s’accordent pas toujours avec le principe de libre concurrence. Les effets d’échelle et de plateforme donnent aux acteurs en place un avantage quasi absolu. Le gagnant rafle la mise et s’arroge tous les pouvoirs.

Les mutations géopolitiques menacent de plus en plus le caractère ouvert de nos économies. Les tensions croissantes entre les pays sont susceptibles d’entraver le commerce international. Récemment, le président Trump a bloqué une OPA hostile sur le fabricant américain de puces Qualcomm au nom de la sécurité nationale. Mais la question sous-jacente était de savoir quel pays décrocherait la position dominante en matière de 5G. Le protectionnisme constitue un défi pour notre ouverture. Je pense notamment à la discussion actuelle relative aux tarifs douaniers sur l’acier.

Au final, le soutien de la population en faveur de l’ouverture économique peut s’effriter. Tout le monde doit en principe profiter de cette ouverture. Mais cela ne va plus de soi. Dans de nombreux pays, la répartition des richesses est un sujet de préoccupation. Trop de gens ont le sentiment que l’ouverture économique ne leur a pas apporté grand-chose. La croyance en l’ascenseur social s’amenuise.

Bien qu’elle nous ait apporté la prospérité, l’ouverture a donc perdu son caractère évident et incontesté. Elle est fragile et doit être activement défendue.

Mais il n’est pas évident de savoir comment le faire. Si l’on en croit l’expérience du siècle écoulé, la démocratie et l’ordre juridique libéral ont la peau dure. Ils reposent sur un socle solide et sont dotés de mécanismes de contrôle bien rodés. En temps de crise, la démocratie s’adapte et sait improviser pour se sortir de l’ornière. En dépit des traces profondes laissées par deux guerres mondiales et de multiples récessions économiques, les démocraties européennes ont toujours su remonter la pente. Cela ne peut que donner confiance dans la pérennité de notre mode de vie.

Or, c’est là précisément où se trouve le danger. Puisque la démocratie parvient à surmonter chaque menace, elle ne tire pas les leçons de ses erreurs. C’est ce que le politologue britannique David Runciman appelle le Confidence Trap. L’excès de confiance dans la résilience du système nous rend paresseux, ce qui nous fait nous enliser d’une crise à l’autre. C’est tout le paradoxe : les démocraties sont tellement habiles à réparer leurs fautes qu’elles continuent à les répéter. Jusqu’au jour où une crise finira par excéder cette capacité correctrice.

Je ne saurais dire si ce jour est proche. Mais les enjeux sont trop importants pour prendre le risque. C’est pourquoi nous devons entretenir et défendre nos démocraties ouvertes. Cette tâche revient aux pouvoirs publics, aux niveaux régional, national et européen. Reste à savoir comment assurer cette défense. Comment éviter le piège de l’excès de confiance ?

Premièrement, en agissant de concert au sein de l’Europe. La défense de l’ouverture ne repose pas sur les seules autorités nationales. La coopération fait notre force, que ce soit dans le domaine de la sécurité, de la migration ou du climat. L’ouverture économique exige également une protection active dans le cadre européen. C’est que les pays individuels sont pour ainsi dire impuissants face au protectionnisme américain, à l’asymétrie de l’accès au marché chinois ou à la position dominante des géants technologiques étrangers. Là où l’ouverture est menacée par les technologies de plateformes, l’imbrication entre géopolitique et économie, et par la montée du protectionnisme, l’Europe peut constituer un rempart commun pour les États membres.

Deuxièmement, nous devons prendre l’initiative. Les Européens doivent jouer un rôle moteur face aux défis de notre époque. Précéder le mouvement plutôt que le suivre. Des engagements ont été pris ici même pour limiter le réchauffement de la planète. Si les premiers jalons ont été posés, nous sommes encore loin du compte. La France et les Pays-Bas défendent activement la révision à la hausse des ambitions européennes, ce qui serait favorable au climat mais aussi à notre économie. Investir dans le développement durable et un approvisionnement énergétique propre, c’est aussi investir dans la compétitivité de l’Union européenne. Nous construisons des bâtiments qui produisent de l’énergie au lieu d’en consommer, nous construisons des parcs éoliens offshore, nous libérons l’UE de sa dépendance à l’égard des régimes étrangers.

Troisièmement, et surtout, nous ne devons pas perdre de vue l’essentiel s’agissant de la protection de notre ordre juridique démocratique. Nous avons tendance à parler en termes abstraits de nos institutions afférentes. Mais nous parlons en fait des individus qui leur donnent corps: les juges, les agents de nos services de sécurité, les attachés administratifs, les agents de guichet, les diplomates, les policiers, tous ceux qui opèrent en ligne de front dans la défense de l’État de droit. Ils incarnent l’intégrité, l’indépendance et la légitimité démocratique de notre ordre juridique. Ils font la différence. Ce n’est pas une abstraction, c’est du concret.

Et c’est la mission qui incombe à chacun de nous présent aujourd’hui. Une mission qui rapproche aussi la France et les Pays-Bas. En Europe, nos traditions et cultures politiques sont parfois considérées comme diamétralement opposées. Le centralisme de la France et le goût de sa population pour les hommes d’État forts sont alors opposés au « modèle polder » néerlandais, axé sur le consensus et la concertation. Les différences existent, je ne le nie pas. Mais je pense qu’elles sont exagérées. D’importants points communs nous rapprochent en effet.

Nos deux peuples ont lutté contre l’oppression de la monarchie absolue. J’ai déjà parlé de l’importance historique de la Révolution française, que l’on ne saurait surestimer et qui a formé nos sociétés occidentales.

Mais les Pays-Bas ont eux aussi résisté à l’absolutisme. En 1581 [mille cinq cent quatre-vingt-un], les États généraux des Provinces-Unies signent le Décret de déchéance, que l’on peut considérer comme notre déclaration d’indépendance. Il remet en cause l’autorité du roi d’Espagne, Philippe II, qui ne montre aucun respect pour les droits et libertés de ses sujets. Le souverain doit être au service de ses sujets, pas l’inverse. La France et les Pays-Bas ont donc chacun joué un rôle dans le développement des idées qui fondent l’État de droit démocratique.

Après la Seconde Guerre mondiale, nos deux pays partagent la conviction que la paix et la prospérité en Europe passent obligatoirement par la coopération. Ils sont tous deux membres fondateurs de l’Union européenne.

En cette période troublée, la France et les Pays-Bas peuvent de nouveau agir de concert, notamment en matière de lutte contre le terrorisme et de renforcement du marché intérieur. Et nous pouvons nous soutenir mutuellement en vue d’entretenir et d’élargir les principes démocratiques. Nos sociétés ouvertes sont encore robustes. Il appartient à l’État de cultiver cette force et d’éviter que l’ouverture ne perde ses soutiens.

Cela nécessite une démocratie solide, dotée d’institutions fortes. Les institutions, ce ne sont pas uniquement des structures et des processus. Ce sont les individus qui font la différence. Vous, donc. La sauvegarde de nos sociétés ouvertes et l’ancrage de nos acquis démocratiques sont entre les mains de tous ceux qui travaillent au service de la chose publique. Entre nos mains. La défense de l’ouverture n’est pas une tâche facile, mais – croyez-en mon expérience – le temps passé à l’ENA constitue la meilleure des préparations. « Créée par le Général de Gaulle en octobre 1945 [mille neuf cent quarante-cinq], l’École nationale d’administration a pour principes fondateurs de démocratiser l’accès à la haute fonction publique et de professionnaliser la formation des hauts fonctionnaires », c’est ainsi que l’ENA définit sa mission sur son site internet. Franchement, je n’ai rien à ajouter.

Je vous remercie de votre attention.